Last running

Courir. Courir, sans jamais s'arrêter. Courir jusqu'à nos limites. Car nous sommes ainsi, nous autres, guépards. Nous sommes faits pour voler. Nous avons la légèreté, la vitesse, la souplesse. Ne manquent plus que les ailes. Mais, au fond, je crois bien que nous volons sans ailes. Car, alors que mes pattes me portent à une vitesse folle, que le vent vient ébouriffer mon pelage, je me sens si libre, et si légère...

Si sur Gaïa, nos semblables sont très peu endurants, nous avons développé cette faculté merveilleuse, ici. Nous ne sommes certes pas aussi endurants que les lycaons ou même les tigres, mais nous pouvons courir près d'un quart d'heure à une vitesse relativement rapide. Et, surtout, je suis l'une des guépardes les plus endurantes de Nirjana. En faite, je suis même plus rapide et plus endurante que tous les autres guépards de ma famille. Je me souviens. Taïga me talonnait en endurance, et Chayton en vitesse. Mais j'ai toujours été plus douée qu'eux. Je ne sais pas pourquoi, et ne le saurais sans doute jamais. C'est l'un des mystères que nos Ancêtres ont voulut donner à ce monde. Ou plutôt, à ma famille. Après tout, le monde se soucie t-il vraiment de pourquoi une guéparde si ordinaire, et cependant si unique, est plus rapide et plus endurante que tous les autres membres de sa famille ?

Je commence à sentir la fatigue me gagner les pattes. Depuis combien de temps je cours, si rapidement que les arbres et les ruisseaux défilent sans que je puisse vous dire leur couleur ? Environ vingt minutes, sans doute. Oh, bien sûr que je peux aller encore plus loin. Mais je n'ai rien à prouver à personne. Et puis, je suis arrivée. Oui, me voici au lieu que je convoitait depuis mon départ : les Terres Libres. Je ralentis, et continue mon chemin d'un trot léger et élégant. Je passe par ici, par là, sans but précis. Et puis, j'entends de l'eau. Oui, je ne dois pas être loin de la Cascade Arc-en-Ciel. En quelques bonds, je me retrouve à son bord, accroupie pour laper le précieux liquide couleur de cristal.

Il était là. Ce mirage. L'image irréelle de Chayton, en face de toi, lapant doucement l'eau fraîche. Il semblait si vivant ! Tu pouvais sentir son odeur familière, comme s'il était vraiment là. Tu sens le regard de cette illusion qui te dévore. Tu gardes le tien braqué sur tes pattes, ne voulant pas te faire souffrir un peu plus en ayant l'espoir si dérisoire de retrouver Chayton. Cela fait plusieurs mois que tu n'as plus de nouvelles. Tu crains chaque instant de ta vie qu'il ne soit agonisant, quelque part dans ces Terres.

« Sa... lut, T... Taïma... »

Cette voix, emplie d'émotion, comment pouvait-elle n'être qu'une illusion ? Tu lèves soudain le regard, brillant d'une étincelle d'espoir. Il s'approche, et se couche non loin de toi. Un instant encore, tu hésites. Puis, cédant à tes instincts, tu bondis sur ton frère. tes pattes rencontrèrent bien de la fourrure, et des muscles, non pas le vide. Il était bien là. Emportés par ton élan, vous rouliez au sol, alors que tu plantais tes griffes dans la fourrure du félin, sans lui faire trop mal. Lorsqu'enfin vous vous arrêtiez, tu te redressais au dessus de lui, le maintenant sur le dos d'une patte sur le poitrail et une autre effleurant sa gorge, et poussait un grondement peu amical, griffes sorties et crocs semi-découverts.

« Stupide boule de poils ! » lui crachais-tu au museau.

Tu enfonçais un peu plus tes griffes dans sa fourrure dorée sombre qui t'étaient si familière. Tu redressais la tête, l'air rebelle, sans quitter ses prunelles des tiennes.

« Où étais-tu, tout ce temps ? Chaque jour je t'ai attendu, chaque jour je craignais qu'il ne te soit arrivé malheur ! »

D'un mouvement brusque, tu rentrais les griffes et relâchais le guépard. Tu t'assis en face de lui, cherchant dans ses yeux d'ambre une réponse à cette douleur qui jour après jour s'était creusée dans ton cœur. Tu lâchais un soupir, comme pour chasser toute tes craintes, et te levais pour venir te frotter à ton frère.

« Ô mon frère, comme tu m'as manqué ! »

« J'étais ici, dans ces immenses Terres Libres, seul. »

Tu plantais tes griffes dans le sol meuble.Tu levais la tête pour planter ton regard dans celui de ton frère. Soudain, celui-ci s'écroula. Tu bondissais vers lui et le secouais. Il respirait. Tu ne savais pas quoi faire pour l'aider, sinon attendre qu'il reprenne des forces et l'emmener à ta Meute. L'Alpha saurait sans doute quoi faire. Tu posais une patte sur son épaule avec douceur. Ta voix montait dans les aigus, comme celle de quelqu'un qui s'apprête à pleurer, sorte de gémissement, lorsque tu prit la parole :

« Mais pourquoi ne pas être venu me voir ? Chaque jour, je demandais à aller patrouiller à la frontière des Terres Libres. Et je t'attendais, je guettais la moindre trace de ta présence, lorsque je longeais le territoire de la Forêt Brumeuse et des Trois-Grottes. Plusieurs fois, avant que le soleil ne se soit couché trois fois, je me rendais à notre ancienne demeure, où nous avions vécut avec Rose d'Or. J'y passais parfois même la nuit, attendant vainement ton retour. Et le lendemain, j'allais prier aux Trois-Grotte que tu ne rejoignes pas Taïga parmi nos ancêtres... »

Tu ne pus refouler la larme qui perla sur ta joue, suivant le tracé sombre des marques caractéristiques des guépards. Ta soeur aussi te manquait. Mais, elle, tu la reverrais plus. Une nouvelle larme tomba sur la fourrure de Chayton. Et Fly, où était-elle ? Pourquoi vous avait-elle laissés seuls, après la mort de ta tendre soeur ? Était-elle quelque part de ce monde, vous avait-elle oubliés ? Larmes après larmes, tu sentais les gouttes de cristal couler. Tu plantais tes yeux embrumés par la tristesse vers ton frère.

« Je te croyais mort. Je croyais que tu m'avais abandonnée. »

Un sanglot secoua ton corps mince. Tu te laissais tomber au sol aux côtés de ton frère, pleurant, et posais ta tête sur son flanc. Triste, tu sentis le sommeil te gagner. Tu le laissa t'emporter, te noyer dans son flot noir et sans rêve, t'éloigner de ce monde où le soleil te semblait désormais fade pour te guider vers celui de noirceur et de ténèbres où tu trouvais la paix, au moins quelques heures.

Tu sentis la patte de ton si cher frère sur ta tête. Tu sursautais, te réveillant aussitôt. Tu plongeais ton regard dans celui de ton frère, si ardent qu'il semblait vouloir dévorer le tiens.

« Je suis vraiment désolé Taima, je ne sais vraiment pas... C’est notre passé qui ma fait "fuir". Ou bien, autre chose, le sentiment que je voulais être seul, je sais plus… Non, Taima, je ne t’oublie jamais. »

Tu te relevais, et enfouissais ta tête doré clair dans la douce fourrure qui couvrait le cou de celui que tu aimais tant, quoi qu'en disent les autres. Tu te redressais pour poser ta patte sur celle de ton frère.

* Oh mon frère, tu avais promis d'être toujours là pour moi. Pourquoi donc ne l'étais-tu pas, alors que je me sentais moi-même si solitaire parmi les autres, pour qui je n'étais qu'une solitaire, qu'une inconnue ? *

Une brise vint faire virevolter nos fourrures. D'un seul mouvement, nous levions les yeux vers l'azur du ciel. Si seulement... Si seulement les rêves pouvaient réécrire une vie... Soudain, le feulement de ton frère te fis sursauter. Par instinct, tu plantais tes griffes dans le sol, et tendais tes muscles pour te faire plus impressionnante encore. Mais le guépard te regardait, l'air malicieux. Tu levais les yeux au ciel.

« Dis, tu voudrais que j’aille chasser pour que tu ai à manger ? »

Une propulsion de tes pattes arrières, et te voici agrippée au dos de ton frère, les crocs et les griffes plantés fermement mais sans lui faire le moindre mal. Tu le fis basculer sur le flanc, et sans que tu ne le lâches, le martelant de tes pattes arrières, vous rouliez au sol. Lorsque tu le relâchais, c'était pour aussitôt bondir vers lui et lui administrer une morsure amicale au niveau du garrot : jamais tes crocs ne t'avaient semblé aussi doux depuis la mort de Taïga. D'un coup d'épaule, tu le fis basculer sur le dos et le plaquais au sol, tes pattes sur son poitrail, et lui saisissais la gorge entre tes crocs.

« Répètes un peu, stupide boule de poils ! Tu ne crois tout de même pas que je vais laisser un simple solitaire insulter ma Meute d'une telle façon ? Tu crois qu'en tant que chasseuse d'élite, je ne peux pas me débrouiller seule ? »

Ta voix, étouffée par les poils de ton frère, avait un éclat malicieux. Tu le relâchais et te tapissais au sol en feulant, l'air menaçante.

« Alors, auras-tu le courage d'affronter la plus redoutable chasseuse de Nirjana ? »

Tu t'apprêtais à bondir, lorsque l'effluve d'un cerf te parvins. Son odeur était saturée par la peur, mais aucun prédateur à l'horizon. Tu avais sentit un autre animal terrifié peu avant, lorsque tu avais sauté sur ton frère. Quelque chose clochais. Tu t'apprêtais à dire à ton frère qu'il fallait fuir aussi, lorsque soudain le sol se mit à trembler. Tu plantais tes griffes dedans. Tu entendis un craquement sinistre, et un arbre se mit à pencher, avant de s'écrouler dans un vacarme assourdissant non loin de toi. Des rochers tombèrent du haut de la cascade, plongeant dans l'eau dans un grand fracas d'éclaboussures. Lorsqu'un arbre manqua de peu ton frère, tu bondis vers lui et lui donnais un coup d'épaule pour l'inciter à te suivre.

« Viens vite, il ne faut pas rester ici. »

Tu bondis, filant comme le vent, évitant arbres qui s'écroulaient juste devant toi. Ta plus grande crainte étais que l'endurance limitée des guépards ne vous soit fatale ; votre vitesse ne vous serais pas d'une grande utilité lorsqu'il s'agissait de tremblements de terre...

Tes pattes martelaient le sol à un rythme infernal. A chaque secousse, tu perdais l’équilibre sur quelques mètres avant de te redresser d'un puissant coup de reins et de reprendre ta course vive. Tu était essoufflée, écartelée entre l'instinct qui te dictait de fuir et l'épuisement qui raidissait tes pattes et raccourcissait ton souffle un peu plus chaque foulée. Tu entendis le bruit sourd du corps de ton frère heurtant le sol à pleine vitesse. Tu savais parfaitement que le choc pouvait s'avérer mortel à une vitesse si élevée. C'était d'ailleurs grâce à ça que les guépards tuaient parfois leur proies. Sitôt que tu compris que le félin au pelage sombre était tombé, tu fis volte-face si vite que tu manquais de perdre l'équilibre. Tu aperçus le corps, d'apparence inerte, et fus prise d'effroi. Ton épuisement, ton désir de fuir... Tout s'était envolé. Seul demeurait la vision terrifiante de ce corps vers lequel tu te ruais en hurlant le nom de ton frère tant aimé.

Soudain, un craquement sinistre retentit, et tu plantais tes griffes dans le sol, portant tout ton poids vers l'arrière afin de stopper ton élan. Un arbre s'écrasa à quelques pas à peine, évité de justesse. Tu n'hésitais pas une seconde et bondis par dessus. Tes pattes avant effleurèrent le tronc, car tu n'avais pas sauté d'assez loin, mais tu t'en contrefichais et te ruais vers Chayton. Au moment où tu allais hurler de nouveau son nom, celui-ci commença à bouger, et se releva difficilement. Tu ne pus réprimer un soupir de soulagement, lorsqu'il vint se frotter contre toi. Un ronronnement sonore s'échappa de ta gorge. Mis à part une vilaine boiterie, il ne semblait rien avoir de grave. Il se recula et, un instant plus tard, une secousse plus forte encore que les précédentes secoua le sol.

Lorsque la terre s'immobilisa, te laissant tremblante sur tes pattes et effarée, ton instinct te souffla que les secousses étaient finies, mais que de la pluie s'annonçait. Tu aperçus un éclair au loin, et ton regard se porta sur le ciel. Des nuages sombres s’amoncelaient, signe que l'orage dans le lointain se rapprochait. Tu avais chaud et la transpiration collait ta fourrure contre ton corps souple et svelte, laissant entrevoir tes puissants muscles. La pluie était plutôt une bonne chose, donc. Mais tu avais besoin de te reposer surtout, le sommeil te gagnait après avoir usé toutes tes forces dans ta course folle.

« Nous... Avons besoin... De nous reposer. Viens. »

Haletante, tu pris une profonde inspiration qui te causa une petite crise de toux, avant de déglutir. Tu te mis en marche, les pattes raidies par la fatigue, et affreusement douloureuses. Les première gouttes de pluies s'écrasaient déjà au sol, et un petit lac apparaissait devant vous. Vous pourriez vous abreuver, et en jetant un regard aux alentours, tu aperçus une sorte de grotte, ou plutôt un creux dans un immense rocher que l'on pourrait presque qualifier de falaise, qui vous permettrait d'être à l'abri de la pluie et de vous reposer, et qui était assez surélevé pour que les flaques ne viennent pas vous mouiller. Tu le désignais à ton frère d'un signe de tête tout en finissant en boire. A la hâte, tu partis chercher de quoi couvrir le sol de la grotte, afin d'être plus à l'aise que sur la pierre. Tu arrachais des fougères, des herbes hautes, des feuilles, de la mousse...ect..., afin de constituer un nid moelleux et confortable. Sur le chemin du retour, tu aperçus l'ombre d'un rapace, et il ne te fallut pas plus d'une seconde pour bondir sur une grande buse au plumage épais qui avait crut que les fougères que tu tenais étaient agitées par un rongeur ou un serpent, sans doute. Tu l'achevais sans tarder. En plus d'avoir assez à manger pour reprendre quelques forces pour ton frère et toi, le plumage du rapace pourrait s'ajouter aux feuillages et herbes que tu tenais pour vous confectionner un nid confortable.

« J'ai trouvé ça sur le chemin. Tu préfères la manger tout de suite, tant qu'elle vient d'être tuée, ou attendre qu'on ai dormit un peu ? » annonçais-tu à Chayton en revenant.

Tu avais laissé la buse tomber à ses pattes, et tu commençais à couvrir le sol de la pseudo-grotte avec les plantes que tu avais trouvé. La pluie se faisait plus forte, et vous seriez bientôt trempés. Tu bondis sur le "matelas de verdure", et incitais ton frère à t'y rejoindre tandis que tu entreprenais de te nettoyer.

Le guépard sombre bondit dans la petite grotte et s'y étendit à mes côtés. Je lui donnais un petit coup de museau amical sur la joue.

« Bien, on peut le manger avant de dormir, je commence à avoir faim justement. C'est très confortable dans ta grotte, ma sœur. »

Un petit ronronnement amusé s'échappa de ma gorge. Le guépard laissa son regard vagabonder sur la buse un instant avant d'en arracher un morceau et de me laisser le reste. Il commença à déguster le rapace tandis que, après un bref instant à l'observer, je saisis une aile pour la manger.
La buse fut bientôt dévorée, à l'exception de ce qui n'était pas comestible. Je poussais un bâillement qui dévoila mes crocs blancs et affûtés. Après un bref regard à Chayton, mes yeux glacés se portèrent sur la pluie qui martelais les feuilles des arbres dans un crépitement mélodieux.

« Reposons-nous en attendant que la pluie cesse. Il me faudra bientôt rentrer à la Meute, je chasserais en chemin. Si tu veux, tu pourra m'accompagner jusqu'à la frontière entre les Trois Grottes et mon territoire. Et n'oublies pas de passer le long de celle qui sépare celui-ci des Terres Libres, je continuerais à y chasser chaque jour. » murmurais-je à mon frère.

Je m'allongeais et, le museau posé sur mes pattes, je me laissais bercer par la pluie crépitante et la douce respiration de mon cher Chayton, laissant mes paupières couvrir l'infinie glace de mes yeux. Un ronronnement s'échappa de ma gorge alors que je sombrais dans le sommeil, le grand mâle sombre à mes côtés.